Le livre a longtemps été révéré comme un objet sacré : une mine d’informations, un symbole de sagesse et l’empreinte de l’histoire. Cette œuvre, L’EX-ILE, réunit de manière sublime de nombreux préceptes de l’art du livre contemporain. Comme de juste, le voyage commence avec des mots, par le biais du texte et des poèmes de l’auteur français Daniel Maximin, né en Guadeloupe, une île des Antilles françaises, et qui y vécut jusqu’à l’âge de treize ans. La « migration » de sa famille en France métropolitaine en 1960, et le rôle de la mémoire (si puissante pour tous ceux qui connaissent l’exil) suite à ce déménagement sont au cœur de l’écriture de Maximin.
Dans L’EX-ILE, deux Australiennes – l’artiste Nathalie Hartog-Gautier et l’«artisan graphiste» Penelope Lee – apportent une grande intégrité à leur engagement pour la prose et la poésie de Maximin. Il ne s’agit pas seulement d’illustrer son texte au sens littéral, mais aussi de le réitérer et de le réexplorer à travers la puissance de leur art, en apportant une réflexion poétique sur des thèmes de prédilection de l’auteur : l’exil, l’eau, la mémoire, la géographie, la langue et l’histoire. Tous, pour ainsi dire, « reliés » entre des couvertures qui suggèrent de façon minimale et subtile ce trope universel du voyage, de l’envol et de la migration : la valise, objet utilitaire et pourtant étrangement comparable à un livre, renfermant les possessions, les souvenirs et les objets les plus précieux.
L’intégrité artistique à laquelle je fais référence n’existe pas seulement dans les nombreuses métaphores poétiques présentes dans L’EX-ILE. Elle est aussi représentée dans le processus de création de cette oeuvre, fruit d’une collaboration très étroite et d’un immense travail.
Grâce aux magnifiques gravures d’Hartog-Gautier qui incorporent des collages à l’encre de Chine (une méthode d’impression sur du papier humide, symétrique au thème de l’eau, cher au poète) et des dessins à l’encre, l’évocation que fait Maximin des cartes complexes et de l’identité d’un lieu se fondent avec la propre migration de l’artiste de la France vers l’île la plus vaste au monde, l’Australie. Les images vont de réactions au paysage du pays d’adoption d’Hartog-Gautier, notamment les marques jonchant le sol d’une région volcanique ancienne, Cradle Mountain, située dans le nord-ouest de la Tasmanie, à la vision plus large de la migration per se, telle que le symbole fort et énigmatique d’une croix inachevée suggérant le marquage d’un site : c’est ici, je suis ici.
Lee imprègne le projet de sa vocation de longue date : l’exploration de la structure archétypale du livre et ses multiples significations. Ses études ont mis en évidence l’idée selon laquelle la facilité de l’accès à la connaissance par le World Wide Web revigorait paradoxalement le livre d’art en nous rappelant que les livres, même dans leur premières incarnations, ne pouvaient être réduits à de simples informations. L’extraordinaire couverture de l’ouvrage et le tissage de coton d’une grande complexité que l’artiste a créés pour L’EX-ILE – chaque élément constituant une expérience centrale, viscérale pour les amateurs de beaux livres et les lecteurs du monde entier – témoignent de ces idées.
L’EX-ILE peut se voir comme une œuvre d’art destinée aux cimaises puis s’ouvrir comme un livre dans lequel l’essai et les poèmes de Daniel Maximin peuvent être lus à travers le prisme transcendant de l’art. Cette ambiguïté fascine, faisant de cette œuvre une contribution remarquable et extrêmement élégante à la longue histoire du livre comme lieu de significations, de translation et de beauté.
Andrea Stretton collabore régulièrement à la section Livres de la revue Art & Australia. Elle a été nommée Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres par le gouvernement français pour sa contribution dans le domaine des arts
This entry was posted in Catalogues and Statements on November 13, 2007